Vide grenier et attracteurs existentiels
1Le 19 juin 2011 par Jean-François Dortier
Je n’ai pas l’âme du chineur et encore moins celle d’un Jojo la brocante. Mais il se trouve que se tenait hier un vide grenier, rue Etienne Dolet, à deux pas de chez moi. Mu par je ne sais qu’elle mystérieuse envie, j’ai décidé d’aller y faire un petit tour. Pour moi, flâner dans un vide grenier fait partie des « activités flottantes », comme voir un documentaire animalier à la télévision ou faire du bricolage… Exactement le genre d’occupation qui n’a pas de grande signification existentielle sans être pas non dépourvue d’intérêt. Activités flottantes: sans beaucoup d’enjeu, que l’on fait tout en pensant à autre chose – ni par obligation, ni par utilité, ni même par passion – mais qui occupent notre attention l’espace d’un moment.
Ce vide-grenier est minuscule : une trentaine de stands tout au plus alignés sur les deux trottoirs. Les exposants ont déballé leur bric-à-brac : jouets, vaisselle, vêtements, disques vinyl, appareils électriques, outils, collection de porte-clés, leur camelote et bibelots en tout genre. Personnellement, je suis attiré par les cartons de vieux livres.
A peine arrivé sur les lieux, mon regard s’est aussitôt porté vers une vieille machine à écrire, type Remington, apparemment en assez bon état. Les touches fonctionnaient bien et faisaient le « tac tac tac tac tac tac » caractéristique de ces machines mythiques. Mon coeur à bondi : je la veux ! Mais son propriétaire n’était pas derrière son stand; il s’était absenté un moment pour aller boire une bière, discuter le coup, marcher une peu. C’est long, une journée entière derrière un stand. Heureusement pour moi: j’avais déjà cédé à la première tentation. C’est l’absence du vendeur qui m’a permis de reprendre mes esprits. « Allons JF, qu’est ce tu aurais fait avec cet objet en plus ? Où l’aurais-tu mis ? Sur une cheminée? Elles sont déjà bien encombrées. Sur mon bureau ? Pas de place non plus. Laisse-tomber, sauve-toi vite avant que le vendeur ne revienne. Garde ton fric et tire toi ».
Pièges mentaux et attrapes coeurs
A quelques pas de là, se trouvait un carton de vieux livres, autre piège à tentation. En fouillant, je suis tombé sur une ancienne édition de poche de Une vie de Maupassant. Je le prends ? Un euro seulement. Ce n’est rien, mais c’est absurde : j’ai déjà un exemplaire à la maison. Oui, mais cette édition là est la même que j’avais au lycée, la même couverture, le même papier jauni… Ma petite voix intérieure me réplique aussitôt : « Et alors ? qu’est ce que cela va t’apporter, tu ne vas pas le relire, non, allez pose moi ça ». J’ai obéi. Dans le carton d’à côté, il y avait un autre attracteur cérébral : un vieux manuel de philosophie Huisman et Vergès (dans les années 1970 ce manuel de philo était l’équivalent du Largade et Michard pour les études littéraires). J’ai encore faillé craquer, mais je me suis abstenu in extremis. Allons JF, soit raisonnable, tu sais bien qu’arrivé à la maison, tu va feuilleter le livre 10 minutes à peine, puis le poser sur une pile, en attendant qu’un autre livre vienne le recouvrir dès le lendemain. Et des piles de livres en stand by, tu en as déjà partout, qui menacent de s’écrouler : dans le bureau, dans la chambre à coté du lit, auprès de la cheminée de la salle, sur les rayons de la bibliothèque du salon, dans la salle, sur les escaliers qui descendent au bureau. « Stop, JF, ça suffit » m’a encore sermoné la petite voix. Et encore une fois, ça a marché. J’ai tenu bon, je me suis relevé, le cœur battant, en fermant les yeux. Victoire : j’ai résisté à la tentation…
… pendant trois minutes. Car a peine arrivé au bout de la rue, il ne restait plus qu’un seul stand et je n’avais rien dépensé. Mon cœur s’est brusquement serré. Impossible de partir les mains vides ! Heureusement pour moi, le tout dernier exposant avait sur sa petite table trois petits joyaux qui semblaient m’attendaient tout spécialement.
Mon regard s’est d’abord posé sur un ancien bijou : un collier avec des perles de la taille de petites cerises. Ces perles sont roses et vertes, avec de minuscules motifs de fleurs incrustés et tissés de petit fil de métal doré. Quand je l’ai pris en main, le collier était lourd, les perles sont en verre. De quand date ce collier ? Années 1930, 1940 ou 1950 ? Disons l’après guerre si j’en juge par la fermeture en métal (en laiton ?). Un collier de famille ? Qu’importe : je l’avais pris en main, c’était trop tard. Il était déjà à moi.
Est ce que Mc va l’aimer ? Est-ce qu’elle va accepter de le porter ? De toute façon, il me plait. Le genre d’objet qu’on adopte aussitôt qu’on la vu et touché. Va savoir d’où vient la puissance d’attraction de certains objets ? J’ai sorti 15 euros de ma poche et il était à moi.
Sur le même stand, il y avait aussi quelques livres offerts à la vente. J’ai craqué aussi pour deux petits livrets d’histoire pour la jeunesse : Les paysans, de la préhistoire à nos jours et Les grandes inventions (Ed Hachette Junior). Ce sont les dessins intérieurs qui m’ont séduits. L’illustrateur est un certain Lucien Nortier (presqu’un homonyme : un signe du destin qui m’invite à ne pas laisser passer l’occasion, non?). « C’est combien, madame ? » Trois euros le livre ? » Un peu cher, mais je n’ai pas envi de négocier. Je les veux. C’est tout. Finalement et juste avant de partir j’ai encore cédé pour une belle brochure consacrée aux mosaïques de Ravenne. Pour la route… (Les mosaïques de Ravenne : là Dortier, c’est du n’importe quoi !). Allez, je l’offrirai à G. Chapouthier, le penseur des mosaïques)
En rentrant j’ai montré le collier à MC. Petit miracle : elle a été séduite et l’a aussitôt porté. Quelques minutes plus tard, elle filait à son tour jeter un oeil au vide-grenier, en quête de fabuleuses découvertes. A son retour, elle avait les bras chargés de vieux jouets pour ses enfants de maternelle. Des jouets ? Non, des objets magiques : des capteurs d’émotions, des pièges existentiels, de puissants attracteurs qui nous ont captivé tout le reste de l’après midi.
A l’abordage !
Le premier jouet un splendide camion de pompier avec une grande échelle rétractable. J’ai passé dix minutes à en nettoyer la poussière, avant de m’apercevoir que cette manipulation n’était un prétexte : en fait, j’étais déjà en train de jouer. Je me voyais en uniforme avec un casque argent, en train de grimper à tout allure au sommet de l’échelle pour sauver des flammes toute une famille. Puis je déroulais et tenait fermement en main une grosse et grande lance à incendie… sous les yeux subjugués et admiratifs des jeunes femmes alentours… Les jouets sont des étonnantes machines qui vous catapultent en un instant dans une autre dimension.
Le second jouet ramené par Mc est un extraordinaire bateau de pirate en plastique bleu et rouge. Il est équipé d’un grand mat et de tout l’attirail d’usage : canons, ancres, drapeau, gouvernail, etc. Surprise et comble de bonheur : la coque du bateau s’ouvre sur le côté et, à l’intérieur, on peut voit la cabine du capitaine, un coffre, un tonneau et des petits personnages en plastique de couleur à l’intérieur des trois cabines : il y a le capitaine, des marins, une jeune femme (la fille du capitaine ?) et même un petit perroquet. « Je le veux ! Rien que pour moi… » Le petit garçon d’autrefois a tout à coup ressurgi à l’intérieur de moi pour crier. J’ai commencer à manipuler les petits personnages et miracle, j’ai rajeuni d’un seul coup de plus de quarante ans. Je me suis retrouvé sur le navire, entouré de l’océan. Je sens voyais installé sur le pont. Des sensations de l’enfance me sont revenus d’un seul coup. C’est étrange : il suffit de tenir le petit personnage dans la main, le fixer quelques instants et le réel qui vous entoure s’éclipse en un instant. Me voilà tout à coup embarqué dans un pays imaginaire. « Attention, là : un navire ennemi! Des pirates ? Non, des corsaires ! Vite Capitaine, tous sur le pont ». Déployer les voiles, toutes ! Direction la grande île, là bas ! Regardez les rochers, les palmiers, la plage. C’est l’île aux dragons ! Sortez les canaux ! Attention un requin ??? non, c’est une baleine. Capitaine ».
– Jean François !
– Mm, Quoi?
– Je te rappelle que ce jouet est destiné aux petits de mon école…
Pincement de cœur : il va falloir le redonner aux enfants de sa classe. Je suis jaloux. René Girard appellerait cela de la rivalité mimétique. C’est faux : je ne veux pas posséder ce que possède les autres (définition du désir mimétique). Il est déjà à moi, et je veux le garder. C’est tout.
Reste le dernier trésor, celui qui m’a peut être le plus touché : une petite voiture de course en plastique rouge avec, à l’intérieur, un pilote Playmobil en miniature. On remonte une grosse clé placée à l’arrière de l’auto et hop, la voilà qui traverse la table avec un bruit de moteur. Et en une seconde, j’ai été propulsé dans l’autre monde. Maintenant, c’est moi le pilote. Je roule à toute vitesse sur un circuit automobile avec un casque et des grosses lunettes. J’ai distancé tous mes concurrents et pris le large sous les hourras et les bravos de la foule. Puis je quitte la ville et je sillonne une route enchantée au milieu des collines, des prés et des arbres verts. Cette petite voiture est magique : impossible de la laisser partir. Tant pis pour le bateau et les pirates, je les laisse partir. Mais la petite voiture, non ! J’ai imploré Mc avec les sourcils en accent circonflexes et un air de Calimero (vu de très loin bien sûr…). « S’il te plait, je peux la garder? » Et Youpii, j’ai gagné : elle me l’a offerte !
Après tout, J’y ai droit ! Demain c’est la fête des pères.
Et voilà le bolide :
Catégorie Bazar, Tranches de vie
Oui, singes nus et juvéniles, nous sommes tous de grands enfants ! (Heureusement)