Les humains vont-ils égaler Dieu ?

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Le 26 janvier 2018 par Jean-François Dortier

Après son best-seller international Homo Sapiens, Yuval Noah Harari nous revient avec un nouveau volume Homo Deus. Le premier racontait la grande histoire de l’humanité. Le seconde nous embarque pour la suite de l’aventure. Qu’allons nous devenir : des nouveaux dieux ou les esclaves des machines ?

Cette « brève histoire du monde » est forgée autour d’un grand récit : Homo « Sapiens » (l’humain « savant ») mérite bien son nom ; son intelligence lui a permis de révolutionner son mode d’existence. Il a créé les sciences et techniques, et son imaginaire lui a permis de souder des communautés sur de nouvelles bases.

Ce récit est un formidable storytelling : l’intrigue globale s’organise autour de grandes périodes – révolution cognitive, révolution agricole, révolution scientifique – appuyées sur de petites histoires édifiantes illustrant la thèse générale. Peu importe que ses thèses ne collent pas toujours aux découvertes actuelles (non, la révolution cognitive n’a pas eu lieu il y a 70 000 ans (1)) ou que des affirmations péremptoires tiennent parfois lieu de démonstration (un « ordre imaginaire » serait aux sources de toutes les grandes civilisations ?). Ne boudons pas notre plaisir. La démarche est stimulante et on y puise de nombreuses idées et informations éclairantes.

Revoilà donc notre auteur avec un autre opus tout aussi ambitieux Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir, livre accompagné d’une campagne de promotion digne d’un blockbuster. Dans Homo Sapiens, Y.N. Harari racontait à grands traits l’épopée de l’espèce humaine. Avec Homo Deus, il envisage la suite.

L’humanité, nous dit l’auteur, a globalement vaincu la faim, les grandes épidémies et même les guerres qui avaient décimé les populations durant des siècles. Aujourd’hui, ces fléaux sont confinés dans des zones minoritaires de la planète. Désormais, l’humanité va se lancer vers un nouveau défi : le bonheur, la perfection physique et l’immortalité. L’avenir de l’humanité est en marche vers un Homo Deus, un « homme Dieu » à la fois omnipotent, parfait et immortel. Les technologies seraient en tout cas en passe de le permettre.

À moins que, scénario alternatif, ce soient les machines intelligentes qui réussissent à s’émanciper puis à dominer les humains. Sapiens serait alors éliminé ou soumis à une continuer la lecture


Davos comme on ne vous l’a jamais raconté

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Le 24 janvier 2018 par Jean-François Dortier

 

Cette année Emmanuel Macron sera en terrain conquis à Davos, qui accueille tous les mois de janvier son Forum mondial, et les « puissants » de ce monde. 

Mais il fut un temps où Davos était connu pour autre chose. Le petit village, lieu de cure réputé, faisait alors venir à lui les grands noms de l’intelligentsia européenne. C’est à Davos que Thomas Man écrivit la Montagne magique. Albert Einstein vint y donner des conférences et y jouer du violon. Conan Doyle et Robert L. Stevenson se partageaient la même maison… En 1929, le Grand Hôtel de Davos accueilli aussi une célèbre confrontation publique entre deux des grands noms de la philosophie allemande de l’époque : Ernst Cassirer et Martin Heidegger. Il y fut question de la métaphysique de Kant, mais surtout de savoir ce qui fait le propre de l’homme: est ce un animal symbolique ou un être d’imagination ?

Récit. 

Toute la presse s’était rassemblée pour assister au débat. La chose peut paraître surprenant pour un débat consacré à la  « métaphysique de Kant ». Mais les observateurs voulaient absolument assister à  la confrontation entre les deux sommités intellectuelles du moment. Et on savait aussi que derrière la métaphysique de Kant d’autres questions plus continuer la lecture


Sciences humaines: Numéro 300 !

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Le 20 janvier 2018 par Jean-François Dortier

Le numéro 300, de Sciences Humaines vient de paraitre. J’y signe un éditorial et quelques papiers sous plusieurs pseudonymes (à vous de trouver…). Lisez ci dessous l’éditorial. Vous pouvez aussi réécouter l’émission de France Inter consacrée mercredi à SH et au numéro 300. C’est ici:  « comment va la monde » 

 

 » 300 numéros ! 300 dossiers, des milliers d’articles, d’entretiens, de comptes rendus de livres, d’actualités des recherches, d’œuvres classiques revisitées, de points de repère… 27 ans d’existence.

Le premier numéro de Sciences Humaines est paru en novembre 1990. Il s’est passé tant de choses depuis ! L’Urss venait de s’effondrer, la Chine commençait son décollage, les ordinateurs entraient dans les foyers. En 1990, la première page Web voyait le jour. Puis sont arrivés les téléphones portables ; il y a eu le 11 septembre 2001, Google et Facebook, une grande crise financière, les révolutions arabes, Daech, l’élection incroyable d’Obama et celle encore moins probable de son successeur !

Il y a eu aussi des évolutions profondes passées étrangement inaperçues : un milliard de pauvres en moins, une violence qui tend à décliner malgré des îlots d’ultra-violence, un bond en avant de la santé, de la longévité et de l’éducation mais qui se paye de l’émergence de nouvelles pathologies dont le stress, l’obésité et les addictions de toutes sortes, et de phénomènes inquiétants comme les ouragans et les incendies qui annoncent un dérèglement du climat en cours.

À vrai dire rien ne s’est passé comme prévu.

Arrivé à ce point, je pourrais entonner le couplet du directeur de journal qui en appelle, sourcils froncés, à la nécessité d’un journal intelligent, indépendant, distancié et critique, qui, au-delà des remous de l’actualité et des idéologies du moment, tente de cerner les mutations profondes du monde et de la société. continuer la lecture


Les inégalités augmentent. Et si c’était aussi une bonne nouvelle !

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Le 7 janvier 2018 par Jean-François Dortier

Les inégalités augmentent partout dans le monde depuis 40 ans.

Voilà ce que montre l’enquête du WID- World , un réseau international d’une centaine de chercheurs qui vient de publier son Rapport sur les inégalités mondiales 2018.

Les principales leçons du rapport sont les suivantes :

– Partout dans le monde les écarts augmentent entre les plus riches et plus pauvres, bien qu’à des rythmes différents (selon les pays).

Ce creusement des inégalités se mesure notamment à la part toujours plus grande que les plus riches se taillent dans le gâteau des revenus comme le montre clairement le tableau ci-dessous.

 

Et si c’était une bonne nouvelle ? Et si, ce scandale cachait en fait des vrais raisons de se réjouir ?

Comment cela. Pour le comprendre, prenons l’exemple de la Chine. continuer la lecture


sur ma table de chevet

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Le 21 décembre 2017 par Jean-François Dortier

Le dernier numéro Sciences Humaines vient de sortir. C’est le dernier de l’année 2017 et le n° 299. Au programme :  quelques livres qui nous ont marqué cette années. Voici mon éditorial.

« Sur ma table de chevet se trouve une pile de livres, dont plusieurs ont déjà été entamés. En ce moment, ma lecture du soir est La Maison éternelle de Yuri Slezkine. L’historien raconte ce que sont devenus les habitants de la « maison du gouvernement », construite à proximité du Kremlin. Au lendemain de la révolution de 1917, ce complexe immobilier symbole du nouveau régime a abrité les représentants du pouvoir. 500 appartements, une banque, une bibliothèque, un réfectoire, un théâtre, un court de tennis : ce complexe devait être un microcosme de la vie soviétique idéale. Sauf que durant les grands procès des années 1930, 800 habitants furent condamnés au goulag ou exécutés pour trahison. Y. Slezkine fait revivre la destinée de ces gens : leur jeunesse, leur conversion au communisme, leurs amours, leur vie de famille puis la déliquescence de cette communauté. Même si le récit est envoûtant, je ne finirai jamais ce pavé de plus 1 200 pages. Car sous ce livre m’en attendent d’autres tout aussi imposants : La Transformation du monde de Jürgen Osterhammel, une histoire globale du 19e siècle en 1 480 pages ! Sur la pile aussi, Rome et les barbares de Peter Heather, puis Les Routes de la Soie de Peter Frankopan (vous l’avez compris, en ce moment, je traverse une période « histoire »).

Même le lecteur vorace, insatiable et addictif que je suis ne pourra arriver à bout de cette montagne de savoir. Non seulement parce que le temps nous est compté à tous, mais aussi parce que bientôt arrivera un flot de nouveaux livres, intarissable, continu, débordant… Mes livres entamés rejoindront les rayons de bibliothèque qui croulent déjà sous le poids d’autres livres ouverts, survolés puis rangés dans ce supposé purgatoire où l’on est supposé les retrouver « plus tard ». En vain. Une question me préoccupe depuis toujours ? Comment faire en sorte de ne pas oublier ces milliers de pages lues au fil des jours ? Quelle trace en reste-t-il une fois un livre refermé ? La mémoire est si oublieuse ! Comment faire en sorte que les lectures du jour n’effacent pas celles d’hier ? Comment empêcher que le cerveau soit une baignoire qui ne cesse de se remplir d’un côté et se vider de l’autre ? Pour éviter l’oubli, j’ai pris l’habitude depuis longue date de noter sur des petits carnets quelques points clés de mes lectures du jour. Je classe ensuite ces notes dans des dossiers (naguère c’était des dossiers de papiers, aujourd’hui ils sont numériques). Ces notes sont regroupées par thèmes et sujets. Elles constituent ce que Rousseau appelait « mon magasin d’idées » ; elles stockent ce que ma mémoire ne pourrait retenir. Cet entrepôt m’est bien utile lorsque j’écris un article ou un livre. Cette discipline personnelle est ma façon à moi de lutter contre l’oubli et de surnager face au torrent jamais tari de la production éditoriale. Sciences Humaines doit en partie son existence à cet esprit de conservation.

Non, nous ne pouvons pas tout lire : sur l’histoire des révolutions, sur l’intelligence artificielle et les robots, sur les religions, la philosophie, les idées du temps, etc. D’où l’idée de ce numéro : tenter de sauver de l’oubli quelques lectures édifiantes et dignes de résister au temps. Pierre Bayard l’avait montré dans son malicieux essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?. Sachant qu’il est impossible de tout lire, que chaque livre ouvert en laisse d’autres dans l’ombre, il faut savoir en prendre son parti et se contenter parfois d’un compte-rendu. Afin de prendre connaissance de tous ces bons livres qu’on ne lira jamais, mais qu’on aimerait pourtant ne pas oublier.

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