Deux lueurs d’espoir, selon Romain Gary
2Le 19 novembre 2017 par Jean-François Dortier
« L’affaire homme », ce titre étrange renvoie à un recueil d’articles et interviews donnés par Romain Gary entre 1957 – juste après la publication les Racines du ciel, avec lequel il obtint son premier prix Goncourt jusqu’à 1980, l’année de son suicide.
On y trouve quelques passages sublimes, sur l’espoir, dont celui ci :
« A la fin de mon livre, (il parle des Racines du ciel) il y a un passage qui définit exactement ma pensée. C’est l’épisode des hannetons. Dans le camp de concentration, portant sur leur dos des sacs de ciment écrasants, au cœur de l’épuisement, les prisonniers politiques trouvent encore le courage de se pencher sous leur charge et de remettre sur leur pattes des hannetons impuissant qui sont tombés sur le dos. Voilà ma conception de l’homme ».
Dans un autre texte « Une puissance et une promesse rassurante », Romain Gary décrit l’impression ressentie face à l’immensité de l’Océan et le sentiment de puissance qui s’en dégage.
» Peut être la mer est-elle un maitre illusionniste qui répète sempiternellement son tour pour nous garder plein d’espoir. Mais sur ces sables où finit la terre et commence l’océan, la promesse d’un au-delà se fait si clairement sentir, l’infini paraît si proche et le vide d’une si majestueuse immensité qu’elle en acquiert une formidable présence. Peu se sentent seuls au bord de l’océan.
On dit qu’il n’y a là que de l’eau et qu’elle est venue des nuages, voici des éternités, du temps que la terre ardente commençait de refroidir. Mais qui se trouve ici sur la plage de Big Sur aux premières heures de l’aube, quand le soleil jaune pèse encore lourd sur la houle, sait mieux à quoi s’en tenir. Car le matérialiste vit dans un monde de son cru, un monde stérile et absurde où le cri bref et désolé d’une mouette jamais ne parvient au-delà de l’oreille, où la mer n’a point de voix mais ne fait du bruit, où l’étrangeté et le prodige de la vie font vainement écho puis ne s’entendent plus, où l’énigme obsédante de l’univers ne trouve jamais de réponse.
Ecoutez le murmure quand la marée monte et que l’océan s’approche. Si le ciel paraît creux maintenant que les étoiles ont disparu, que les cieux sa changent donc dans le vide ! car nous ne sommes pas seuls. Il est ici une puissance, une promesse rassurante, presque une certitude – et si loin que nous jetions notre espoir, qu’importe : la mer le trouvera toujours et nous le rapportera, intact.
La science peut nous dire comment la mer est née. Elle peut traiter du sel et de l’eau, mais nulle quantité d’eau salée ne peut faire un océan dans cette choses étrange qui survient quand un homme pose ses yeux sur lui »
Quelle plus belle réplique à Pascal et sa frayeur des « espaces infinis ». Et Romain Gary poursuit :
» La mer appartient au rêveur. Elle est hors de portée du sceptique. Elle nous parle d’une voix que le poids d’aucune preuve scientifique ne saurait réduire à un tumulte mécanique dénué de sens; elle tient sous nos yeux la promesse d’une chose qui en peut jamais mourrir. Peut être est-ce pour cela qu’elle a été placée là ».
Catégorie lectures
Sauf qu’un être humain instruit interprète ce qu’il voit dans la nature, au moins une sauvage beauté, sinon un mystère transcendantal.
Sauf que si un être humain ressent cette présence éternelle, dans la nature, se suicide-t-il pour la rencontrer enfin ou bien par désespoir de craindre ne jamais pouvoir la connaître, parce qu’irrémédiablement étrangère à lui-même ?
Cette présence dans la nature est-elle visible au fond des hommes qui font partie eux aussi de la nature ?
L’acte humain posé par l’homme fait-il de lui une conscience supérieure à la nature extérieure à lui-même, à la nature qui suit ses propres lois et voies d’évolution ?
j’ignore les raisons qui ont poussé Romain Gary au suicide, alors quel type de relation humaine serait une solution contre le suicide, comme par exemple, la demande consciente d’euthanasie (car ne s’agit-il pas chaque fois d’en finir avec une trop grande souffrance impossible à porter) ? …
Romain Gary, exprime-t-il l’espérance envers l’humain dans l’animal-homme et ce sentiment était-il davantage possible aujourd’hui et en 1980… que du temps de Camus, dans l’écriture duquel s’exprime un désespoir, une nouvelle conception de la fatalité – après les tragédies grecque et racinienne – dans l’acte soit-disant gratuit de l’Etranger, mais un acte tout de même circonscrit dans des relations de peuples historiquement divisés et de moeurs jugées par des idéologies puissantes ?
Alors la fatalité qui se définissait – jusqu’au XXème siècle – par rapport aux sociétés et à leur conjoncture, était-elle vraiment inévitable ? Mais notre intelligence qui définit maintenant une fatalité moderne évitable, en raison de l’espoir engendré par les technologies nouvelles, peut-elle trouver des issues heureuses en face de ce qui se perçoit pourtant et paradoxalement comme menaçant pour aujourd’hui et pour demain ?