Le modèle de la mosaïque (2)
1Le 28 novembre 2010 par Jean-François Dortier
Reprenons la petite histoire de la mosaïque du vivant. (billet du 2 novembre). La vie se construit par juxtaposition d’éléments identiques, puis par spécialisation et intégration de ces éléments en un ensemble organisé.
Des petits éléments (gènes, cellules) identiques se forment, se dupliquent, puis s’agglomèrent (juxtaposition) et se différencient et s’intègrent dans un organisme global.
Mais ces éléments conservent toutefois une certaine autonomie au sein de l’ensemble.
Dis comme cela, ça ne ressemble pas à une découverte bouleversante : n’est ce pas tout simplement la reformulation de l’idée de système : un ensemble est composé d’éléments et les éléments gardent une certaine autonomie au sein de l’ensemble ?
C’est en partie vrai. Mais quand on applique ce schéma à la construction du vivant, des mécanismes fondamentaux se dévoilent alors.
Notre organisme est fait de milliard de cellules toutes bâties sur le même schéma d’organisation. Qu’il s’agisse d’un neurone (cellule du cerveau), d’un globule rouge (cellule du sang), ou d’une une cellule osseuse : tous sont composés sur une même matrice (un noyau, micro-organismes comme les mitochondries, une paroi). Les cellules spécialisées naissent d’ailleurs toutes sous forme de cellules souche indifférenciées.
De même, un organe comme le cerveau se construit à partir de cinq segments identiques les vésicules) qui sont juxtaposés et vont ensuite se différencier pour devenir les structures du cerveau adultes : thalamus, hémisphères cérébraux, cervelet. (voir le schéma ci-dessous).
Sur ce schéma suivant, on voit mieux comment les étapes de transformation.
Quand on observe un cerveau humain adulte et ses parties aussi différentes que les hémisphères ou le cervelet, on a du mal à imaginer qu’il est fabriqué à partir de constituants au départ communs. C’est pourtant le cas.
Cette logique de fabrication s’applique à nombreux niveaux d’organisation du vivant : la construction du génome (par juxtaposition/intégration) de gènes ; la formation de cellules (par juxtaposition/intégration de micro-organismes) ; la formation d’organismes pluricellulaires, la formation du squelette, la formation du cerveau. Et on peut bien sûr étendre la logique de la mosaïque aux niveaux des « superorganisme » que sont les sociétés animales ou humaines.
Au restaurant chinois
L’article de G. Chapouthier (« L’évolution de la complexité », Pour la Science, n° 314, 2003) m’ayant beaucoup intéressé, j’ai décidé de le revoir. J’ai donc pris rendez-vous avec lui et au mois de juin, on s’est retrouvé dans un restaurant chinois près du jardin du Luxembourg. A peine installé à table, Georges (« on se tutoie ? Oui bien sûr ») réattaque avec ses blagues : « Tu connais l’histoire du l’hémiplégique qui ne pouvait plus parler ? ».
Non, non, pas tout de suite ! J’ai rappelé ce que préconise Kant. Dans son Anthropologie, le grand penseur conseille de commencer les repas par les sujets élevés (philosophie ou science) et de garder les histoires drôles pour la fin. Car, dit-il l’esprit est ainsi fait qu’il peut facilement glisser la pente des questions ardues aux bonnes histoires, mais il a du mal à remonter la pente dans l’autre sens.
J’ai donc tenté de ramener le débat sur des questions fondamentales de la vie. « Georges, il faut quand même que l’on parle de la mosaïque, de la fabrication de la vie, de la complexité »…
– Oui, bien sûr je vais t’envoyer un article qui résume mes thèses. Mais j’y pense, tu connais l’histoire de l’anglais de l’américain et du suisse dans un sous-marin ? »
La suite du repas, a consisté à jongler entre les nouilles aux légumes et le canard laqué, ses histoires drôles et quelques sujets de fond.
On a notamment discuté des applications possibles de la théorie mosaïque au fonctionnement de la machine humaine.
• Nous sommes des machines désirantes.
Quand on retire le cœur de la poitrine et on le place dans un élément nutritif, il continue à battre tout seul. Car si le cœur a pour fonction de pomper le sang dans l’organisme, il fonctionne en partie comme un système autonome, animé de sa logique propre. Il en va de même pour la plupart des autres organes. L’appareil digestif tend à fonctionner en soi et pour soi et pas simplement pour alimenter l’organisme. Voilà pourquoi, si la nourriture est abondante, l’organisme tend à se nourrir bien au delà des besoins de l’organisme. De là la tendance à l’obésité. Il en va de même pour la sexualité. Nos organes sexuels ne fonctionnement pas comme de simples outils au service de la reproduction: ils agissent pour leur propre compte : d’où un goût immodéré des organismes vivant pour le sexe. Un goût qui va au delà d’une économie sexuelle entièrement asservie à la seule reproduction. Autre exemple : notre cerveau est doté d’une multitude de modules spécialisés destinés à accomplir des fonctions précises : langage, mémoire,perception, résolution de problème. Mais ces structures/organes/fonctions tendent à fonctionner pour elle-mêmes, bien au delà des services qu’elles rendent à l’organisme dans son ensemble. Ainsi notre mémoire stocke plein d’information inutiles : mais elle la mémoire est ainsi faite : conserver des information, sans savoir ce qui lui sera utile ou non. De même, notre cerveau est fait pour résoudre des problèmes et il se passionne parfois pour des questions qui n’ont strictement aucun intérêt pour la survie. Le langage est fait pour transmettre des informations, mais nous parlons bien au delà des besoins de la communication. Les organismes sont ainsi fait : il est construit comme une vaste ensemble d’éléments qui agissent en partie pour pour eux-mêmes. Nos organes tendent à tourner en soi et pour soi. Nous sommes des machines désirantes et délirantes.
Catégorie Création
Merci encore pour ces superbes articles sur mes thèses de la mosaïque. As-tu reçu mes précédents mails suggérant de mettre des références pour le copyright des figures ? Je pars pour 15 jours en Extrême-Orient et te recontacte ensuite.
Merci encore à toi et amitiés,
G