L’apocalypse : nouveau produit littéraire

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Le 8 octobre 2011 par Jean-François Dortier

L’apocalypse est à la mode. En vitrine des libraires cette semaine,  on peut découvrir Premier bilan après l’apocalypse, de Frédéric Beigbeder et le Fanatisme de l’Apocalypse de Pascal Bruckner. Le premier n’a strictement rien à voir avec le sujet puisqu’il s’agit d’une d’une anthologie littéraire personnelle (« mes 100 livres préférés pour le prix d’un » dit le bandeau). Mais il est significatif que l’écrivain ex-publicitaire emploi le mot « apocalypse » comme un produit d’appel. Le livre de P. Bruckner, l’essayiste, qui déteste les discours de la mauvaise conscience contemporaine s’en prend cette fois à la nouvelle religion planétaire écologique. Dans Du bon usage des catastrophes, Régis Debay  lui aussi en vitrine en ce moment, s’en prend aussi aux prophètes de malheur. Du côté des catastrophiste, enfin, on peut lire Face au pire des mondes, de Michel Beau. Nous y reviendrons.

Arrêtons nous pour l’instant sur dernier opus de Slavoj Zizek Vivre la fin des temps. (Flammarion, 2011). Le seul trait commun avec celui le livre de F Beigbeder est de n’avoir presque a voir avec le sujet annoncé comme on va en juger. Comme si « la fin des temps » n’était qu’une accroche commerciale.

Vivre la fin des temps

S. Zizek est un philosophe slovène « mao-lacanien » très prisé dans les milieux de la « pensée critique » et les sphères intello-médiatiques branchées. Le titre de son dernier livre annonce « la fin des temps ». Pourquoi ? L’affaire est réglée en un paragraphe : « Le postulat sous-tendant le présent livre est simple : le système capitaliste global approche un point zéro apocalyptique. Ses « quatre cavaliers de l’apocalypse » sont respectivement la crise écologique, les conséquences de la révolution biogénétique, les déséquilibres à l’intérieur du système lui même (les problèmes posés par la propriété intellectuelles, les conflits à venir concernant les matières premières, la nourriture et l’eau) et la croissance explosive des divisions et exclusions sociales ».

Vous avez bien lu : le monde ne va pas s’effondrer à cause d’une crise financière mais « des problèmes de la propriété intellectuelle » (sic !). Vous craigniez la faillite des Etats ? Non, pour Zizek, la menace vient des « conséquences de la révolution biogénétique ». Pourquoi ces tensions là et pas d’autres ? C’est S. Zizek qui le dit. Un point c’est tout. C’est un « postulat ». On n’en saura pas plus.

Le monde va donc s’effondrer. Soit. Et que va-t-il se passer ? La réponse tient en cinq chapitres, censés représenter chacune des cinq étapes par lesquelles passe toute conscience confrontée à un choc brutal. Ces cinq étapes sont  1) le déni (« c’est impossible, je n’y crois pas, cela ne peut pas arriver ») ; 2) la colère (elle explose quand on a enfin admis la réalité ; 3) le marchandage (les tentatives pour retarder, négocier minimiser l’échéance) ; 4) la dépression (quand on a compris que tout est fichu) et enfin  5) l’acceptation qui est une forme de résignation au changement.

D’où Zizek tire-t-il cette théorie des cinq étapes du changement ?  Elle provient de la psychologue suisse, Elisabeth Kübler-Ross qui a décrit ce cycle psychologique des réactions face aux catastrophes, deuils et autres annonces apocalyptiques. Pour ceux qui s’en souviennent, la théorie des cinq étapes d’Elisabeth Kübler-Ross a inspiré aussi les consultants de France Télécom. Lors des restructurations de l’entreprise, des rapports internes de la direction expliquaient les états par lesquels passeront les salariés soumis à une restructuration: déni, colère, marchandage, dépression et… acceptation. S. Zizek aurait donc les mêmes références que France Télécom !

Mais il est temps d’entrer dans le vif du sujet. L’apocalypse nous attend et voilà par quoi il va falloir passer.

Le graphique utilisé par Orga Consultants, inspiré des travaux d'Elisabeth Kübler-Ross.

• Chapitre 1 : le déni. Ce chapitre n’a a peut près rien à voir avec le sujet anoncé et démarre sur une longe digression sur le thème de l’idéologie, thème cher à Zizek. Tout commence par une attaque en règle contre les « tartarophiles » (les tenants du multiculturalisme, vu comme la forme suprême de l’idéologie libérale). Où est du déni de l’apocalypse dans ce chapitre ? Je cherche encore…

Chapitre 2 (« La colère ») est une réflexion sur le discours « théologico-politique », c’est-à-dire la tendance totalitaire à tuer au nom de Dieu. En bon communiste révolutionnaire, Zizek n’est pas du genre à s’émouvoir que l’on puisse tuer au nom d’une cause supérieure. Son souci serait plutôt de faire la part entre la bonne et la mauvaise doctrine. Et selon lui, la bonne cause serait à chercher du côté des valeurs chrétiennes. Oui des valeurs chrétiennes. Jésus, n’est pas qu’un dieu d’amour, rappelle Zizek, il a su s’emporter contre les marchands du temple… S.Zizek enfourche une nouvelle fois la défense des valeurs chrétiennes (comme il l’avait fait dans un livre précédent Fragile absolu. Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être d’éfendu ? 2008). A ce stade, on est sérieusement entré dans du grand n’importe quoi. Mais, conscience professionnelle oblige. Je poursuis.

Chapitre 3. (« Le marchandage »). Là encore, on s’éloigne du sujet. Le chapitre est un long commentaire des thèses d’Alain Badiou -son ami, maître à penser et maoïste comme lui – à propos d’économie politique. Après un nébuleux développement d’un autre âge sur la théorie marxiste de valeur, on finit par apprendre qu’il faudrait en fait se débarrasser de la notion d’économie (ça n’existe pas..), des classes sociales (ça n’existe pas non plus) et que la théorie de la valeur est entièrement à revoir au prise de Hegel… Arrivé là, j’avoue que j’ai commencé à sauter des pages. J’ai quand même repris ma lecture page 331 sur cette admirable leçon: « la seule manière de se débarrasser de nos maîtres » n’est pas d’instaurer « l’humanité en maître collectif de la nature » (?) mais de « reconnaître pleinement l’imposture de l’idée de Maître ». Trop fort !

Chapitre 4. (la Dépression) Le délire verbal continue. Je vous épargne les longues digressions décousues autour des auteurs fétiches de Zizek – Lacan et Hegel -, le tout entrelacé de références au cinéma hollywoodien (ses autres passe temps). Il faut attendre page 453 pour que S. Zizek, reprend (enfin !), le thème de l’apocalypse annoncé au début d’ouvrage. Il nous explique alors qu’il existe trois versions de l’apocalypse : le fondamentalisme chrétien, le New Age, et « l’apocalyptisme techno-numérique posthumaniste » (sic!). Cela n’a plus rien à voir donc avec les menaces anoncées en début d’ouvrage ? Qu’importe, S. Zizek n’est pas du genre à s’arrêter sur de tels détails. Bon : j’ai hâte d’en finir. Allez Jean-François : tiens bon ! Encore un chapitre…

Chapitre 5  (Acceptation). Je laisse la parole au penseur et je vous laisse juger « Il y a dans nos vies deux formes opposées d’idiotie. La première correspond au sujet (parfois) hyperintelligent qui ne «  percute pas », qui comprend une situation logiquement sans en voir le contexte caché ». Et Zizek de prendre en exemple d’idiotie « hyperintelligente » une anectode personnelle :  un jour dans un bar américain le serveur lui avait demandé comment allez vous ? Et Zizek avait cru bon de raconter sa journée, croyant que le barman souhait le savoir…

« La seconde forme d’idiotie concerne ceux qui adhèrent complément au sens commun ». Et de partir sur une longue digression de plusieurs pages sur des personnages d’idiots puisés dans la littérature : chez Kafka, Platonov ou Sturgeon, illustrant les idiots de la deuxième catégorie, à l’instar des « pseudo-intellectuels semi cultivés ».

Je ne sais pas à quelle catégorie d’idiots je fais partie, mais, arrivé là, trop c’est trop. Il est temps d’en finir. Et – heureusement – le dénouement arrive quelques pages plus loin. Je vous laisse le découvrir vous même :

« Tel est le Dieu dont a besoin la gauche radicale d’aujourd’hui : un Dieu totalement « fait homme », un camarade parmi nous, crucifié entre deux exclus sociaux, qui non seulement « n’existe pas », mais aussi le sait fort bien, et qui, acceptant son propre effacement, passe entièrement du côté de l’amour qui lie tous les membres du « Saint-Esprit », c’est-à-dire du Parti ou du collectif émancipateur ».

Point final. Ce sont les derniers mots du livre. Un livre que j’ai refermé avec cette impression : que l’on puisse accorder quelque intérêt à de telles élucubrations montre qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume de la pensée.


2 commentaires »

  1. Axel dit :

    Saluons cette ‘conscience professionnelle’ qui vous a poussé à aller jusqu’au bout de ce qui ne semble qu’être un délire mao-lacanien…
    La mise en garde est claire : livre à éviter !
    Je n’ai jamais lu Zizek (hormis quelques articles commis de sa plume ici ou là), mais j’ai pu l’écouter une fois lors d’une émission de ‘Réplique’. J’avoue n’avoir pas compris grand chose à son charabia, et ceci dans tous les sens du terme : d’une part il parle très vite avec un timbre à la limite du supportable, mangeant les mots, avec pour saupoudrer le tout un fort accent. D’autre part, il passe sans cesse du coq à l’âne sans grande logique et assénant souvent des ‘vérités révélées’… Bref une fois mais pas deux !
    Pour ce qui est des lectures, et ceci sans flagornerie aucune, je préfère des ouvrages clairs ludiques ou l’on apprend quelque chose : ‘Les humains, mode d’emploi’ y répond tout à fait.

  2. adaz dit :

    l’auteur de l’article est toujours à l’étape 1 :  » le déni  » ! mais ca va bientôt changer

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