Et si on parlait d’amour ?

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Le 4 septembre 2013 par Jean-François Dortier

Le dernier numéro des Grands Dossiers des Sciences Humaines vient de paraître. Au sommaire l’Amour, un besoin vital. Il y est question d’amour conjugal, d’amitié, d’attachement et du désir d’être reconnu. Chez les humains comme chez les autres animaux.

J’en profite pour offrir aux lecteurs de ce blog des extraits de mon article sur « Aimer comme une bête ». 

 

 

Le petit chien mort d’avoir trop aimé

La scène se passe dans la salle d’attente du vétérinaire. Un petit chien tout tremblant se blottit contre sa maîtresse. Elle pleure. Lui se colle contre elle et regarde la blouse blanche qui s’avance vers lui sans comprendre ce qui se passe. Dans quelques minutes, l’animal va être euthanasié. C’est le seul remède au mal incurable qui le ronge : le mal d’aimer.

Ce mal d’amour se manifeste par un attachement excessif, exclusif et dévastateur. Lorsque sa maîtresse quitte l’appartement pour son travail, le chien aboie, gémit et hurle de désespoir jusqu’à son retour. Dans l’appartement, il dévaste tout. Une seule alternative : l’abandonner ou mettre fin à ses souffrances.

Ce chien a un comportement typique de certains animaux en détresse quand leur maître est absent. Ces comportements perturbés sont les causes principales des abandons et des euthanasies des chiens avant 2 ans. Ce chien-là n’aspirait qu’à une seule chose : sa maîtresse, la voir, la sentir proche, se faire caresser de temps en temps. Pour lui, ce contact compte plus que la nourriture ou le confort. Des chiens comme celui-ci, qui souffrent du « mal d’aimer », Claude Béata, vétérinaire, en a vu des centaines. Cette scène ouvre son livre Au risque d’aimer qui porte sur le rôle central de l’attachement dans le monde animal.

 

L’attachement: du poussin au chiot,

Le terme d’attachement a été introduit en psychologie de l’enfant par John Bolbwy. Il décrit le besoin fondamental pour un enfant de s’attacher à sa mère, à une nourrice ou à une personne qui ne lui apporte pas simplement à manger, mais du réconfort, de la tendresse, des regards croisés, des caresses, une présence affective. En l’absence de cette présence protectrice et aimante, les enfants souffrent de graves carences affectives. Les études de René Spitz le montraient. Les expériences cruelles de Harry Harlow sur les petits singes rhésus l’ont confirmé.

On sait moins que J. Bolwby n’a pas développé sa théorie de l’attachement qu’à partir de son expérience personnelle (une mère distante remplacée par une nourrice aimante mais qui a dû aussi le quitter). Il avait lu les travaux de Konrad Lorenz sur l’empreinte* qui l’avait beaucoup impressionné. L’empreinte, en éthologie, est associé à l’image des petits oisillons qui suivent leur mère dès la sortie de l’œuf.

Quelle différence entre l’empreinte et l’attachement ? Avant tout, c’est une question de mot. La première objective le comportement et ignore tout sentiment associé. Le second se situe sur le plan du comportement, mais évoque une émotion associée au lien. Si l’on fait tomber la barrière conceptuelle entre les deux mots, l’attachement et l’empreinte se ressemblent beaucoup et les comportements du petit poussin, du macaque, du petit chien et du petit d’homme ne semblent pas si éloignés.

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Expériences d’Harlow : Dans les années 1960, l’éthologue Harry Harlow a réalisé des expériences célèbres – et cruelles – qui forment l’un des piliers de la théorie de l’attachement. Constatant que le jeune singe reste longtemps accroché à sa mère, il veut explorer le lien exact de cette relation. S’agit-il simplement d’un lien utilitaire (recherche de nourriture et de protection) ou d’un besoin plus fondamental d’affection ? Pour trancher, il imagine le dispositif suivant : dans la cage d’un jeune singe sont placés deux mannequins ressemblant à des mères de substitution. L’un est en fil de fer et tient le biberon, l’autre est revêtu de chiffons et d’un masque ressemblant à un visage. Si le singe se nourrit auprès du mannequin biberon, il le quitte aussitôt pour aller se blottir contre le mannequin chiffon qui ressemble à une vraie « mère », preuve qu’il recherche un « réconfort de contact », et pas simplement de la nourriture.

EmpreinteKonrad Lorenz, l’un des fondateurs de l’éthologie, s’est fait connaître du grand public comme « l’homme aux oies cendrées ». Sur des photos célèbres, on le voit entouré d’un petit groupe d’oies qui le suivent comme s’il était leur mère. Cette scène illustre la première grande découverte de K. Lorenz : le « mécanisme de l’empreinte ». 


Dès les années 1930, K. Lorenz a montré qu’en remplaçant la mère des jeunes oisons par un objet-leurre, un chat, une poule ou… lui-même, les poussins considèrent ce substitut comme leur mère. Ce mécanisme d’empreinte montre comment se marient instinct et apprentissage. La tendance à suivre le premier être vivant est un mécanisme instinctif. Mais l’objet de l’attachement dépend de ce que l’animal rencontre en premier à sa naissance. 




3 commentaires »

  1. chabannes dit :

    Voilà qui est beau et inquiétant.
    J’imagine assez bien que l’on puisse classer en tant que besoin d’attachement, cette manie qu’à l’Homme d’abandonner sa liberté à un tiers tant sur le plan politique que religieux.
    N’existe-t-il pas un mécanisme neurologique qui trahit notre besoin de liberté lui substituant l’appel de l’attachement?

  2. Abdellah dit :

    le mot amour fait trembler tout le monde même les plus durs des humains. L’amour consolide notre amitié, fortifie notre coeur et réconforte notre bonheur. cet article sur l’amour nous fait éclairer certaines choses que la plupart du temps nous ignorons dans notre vie quotidienne, il nous fait croire à une vie meilleure sans problèmes, à un monde plein de vitalité et d’énergie qui nous permettent de voir mieux et d’imaginer un avenir fantastique.

  3. Didier Mendelsohn dit :

    Etre aimé, homme ou bête, n’est-il pas une condition nécessaire et suffisante pour être capable à son tour de s’aimer soi-même et d’aimer les autres? Qui a dit tu aimers ton prochain comme toi-même?

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