Comment sortir de l’enfer
1Le 10 mars 2011 par Jean-François Dortier
L’autre soir, l’une des chaines de notre bouquet numérique diffusait Precious, un film de Lee Daniels (2008).
Precious est noire, très obèse : un tas de graisse à première vue. Elle vit à Harlem, dans une famille sordide. Sa mère est une mère « Groseille » : dégantée, irresponsable et qui déverse toute sa haine et sa frustration sur une fille devenue son souffre douleur. Le père a commencé à violer Precious quand elle était petite fille. Aujourd’hui, à 16 ans, elle a déjà accouchée d’une petite fille mongolienne et attend un autre bébé. Precious va à l’école mais ne sait pratiquement pas lire et écrire. Elle n’a pas d’amis et les garçons se moquent d’elles et la bouscule sur son passage.
Quand elle subie les pire humiliation (de sa mère, son père, ses camarades de classe) Precious n’a plus qu’une issue : elle s’évade en rêve. Elle se voit alors jeune femme mince, belle, blonde. Tout à coup, la voilà une star, devant une nuée de photographes qui la flashent de toute part…
Precious vit l’enfer. Mais le film a réussi à ne pas sombrer dans le mélo social larmoyant. Certes, son destin a été brisé dès le départ; tout joue contre elle : son physique, sa famille, l’école. Pourtant sa vie n’est pas complètement fichue. Precious va s’extraire en partie de la nasse qui l’emprisonne. Grâce à l’intervention d’une assistante sociale, elle entre dans une école alternative. Elle y apprend à écrire et reprend confiance en soi. Elle s’y trouve des amis : certes, ce sont des paumées, comme elle, mais des amies quand même. Et puis il y a cette enseignante qui la soutient. Une jour, la classe est de sortie au musée vont au musée ; Precious y découvre l’art (on ne l’avait jamais amené au musée). Alors que ses copines ricanent et déconnent à l’arrière plan, Precious est attentive, cherche à comprendre. A un moment donné, alors qu’elles sont debout devant un tableau, la prof lui prend la main. « C’était la première fois que quelqu’un me prenait la main », écrira Precious, le soir dans son journal.
Precious est un film sur la une forme particulière d’émancipation. Gràce à l’école alternative, puis son accueil dans une foyer pour mères célibataires, le soutien de ses professeurs et de l’assistante sociale, l’écriture, les quelques amis, Précious va réussir à sortir de l’enfer : ou plutôt s’éloigner de son foyer le plus brûlant.
Leçons de (sur)vie.
Precious est certes une fiction. Et on a reproché à Sapphire l’auteure de Push, le roman dont est tiré le film d’avoir cédé au misérabilisme en accablant son personnage de tant de maux : inceste partenel, mère tyrannique, enfant trisomique, analphabétisme, obésité. Cela fait beaucoup. Mais le cas de ces mères adolescentes noires, vivant dans des familles déglinguées était loin d’être rare dans l’Amérique des années 1990 (quand le roman a été écrit). Des familles « tuyaux de poêle », qui concentrent tous les épreuves : pauvreté, débilité, maladie, handicaps ajouté à la violence, les échecs à répétition, la laideur et l’obésité, il suffit de connaître un peu le monde des Cités pour les croiser. L’histoire, même excessive, de Precious, pourrait donc être vraie.
Son « salut » provisoire par l’école, l’aide sociale, l’écriture et la volonté correspond à un modèle de réinsertion sociale : celui de « l’empowerment ». L’empowerment est le schéma sur lequel la plupart des politiques d’aide sociale sont aujourd’hui fondées. Son principe est « Aides toi, l’Etat t’aidera ». Aides-toi (refus de la pure assistanat : il faut que la personne se prenne en charge, accomplisse des efforts, se forme, définisse un projet). L’Etat t’aidera : on met en place des systèmes de soutien sociale (financier, locaux, formation).
Le salut (très relatif) de Precious comporte ainsi tous les ingrédients nécessaires au combat pour l’émancipation : les dimensions sociales (l’école alternative, le foyer, l’assistante sociale), de nouveaux modèles de conduites (celle de ses enseignante, de l’infirmier avec qui elle est devenue amie). L’indispensable détermination intérieure de Precious joue également un grand rôle. La jeune fille n’est ni « résiliente », ni totalement brisée. Elle va s’en sortir, mais ne le pourrait pas sans une main tendue.
A partir de là, une issue est possible. Une issue est loin d’être un « happy end ». Car il n’y aura pas de salut pour Précious. On le comprend dans la dernière scène du film, où on la voit marcher avec dans la rue, tenant d’une main sa petite fille mongolienne et portant dans ses bras son petit Absul. Precious sera toujours grosse. Elle devra élever sans doute seules ses deux enfants. Elle aura toujours des emplois subalternes. Elle vivra toujours a côté de ses rêves. Mais grâce à l’école alternative, la fuite de sa maison natal et le foyer d’accueil pour les mères adolescentes, l’écriture et sa volonté farouche de Precious de s’en sortir, elle a peut être échappée au plus glauque, à l’humiliation et l’enfer quotidien que lui faisait subir sa mère et son beau-père. La vie de Precious, on le pressent sera toujours une vie d’épreuves, une vie précaire, une vie sans éclat. Mais elle aura tout de même réussie à échapper à l’enfer.
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Oui, et à la rédemption sociale, il faut aussi ajouter celle de l’imaginaire. Precious sait se réfugier dans le rêve, comme l’avaient fait des prisonniers dans les camps de concentration. Dans l’enfer que peut constituer la société du troisième chimpanzé (nous-mêmes), le recours à l’imaginaire est souvent essentiel.