A découvrir absolument !
1Le 29 octobre 2012 par Jean-François Dortier
Je n’aime pas accuser les gens de génie et les livres de chef d’œuvre sans de bonnes raisons. Cela peut créer de fausses attentes et des déceptions. Mais c’est ce que j’ai ressenti en lisant Assommons les pauvres.Elle s’appelle Shumona Sinha. Ce beau nom nous vient d’Inde, de Calcutta précisément, où l’auteure est née en 1973 ? En 1990 (à 13 ans !) elle obtenait le prix du meilleur jeune poète du Bengale. Dix ans plus tard, la jeune femme débarquait à Paris, tout comme des milliers d’immigrés déracinés avec l’espoir de s’intégrer dans le monde des blancs, des riches, dans un monde rêve : en tout cas qui fait encore rêver des centaines de millions de pauvres de par le monde.
Un jour Shumona a fait explosé une bouteille sur la tête d’un de ces migrants, venu comme elle du Bangale. Pourquoi ? Voilà ce que raconte Assommons les pauvres.
Shumona traduisait pour les agents de l’immigration les récits des migrants qui demandent d’asile. Des mensonges pour l’essentiel. Car la misère et la volonté d échanger de vie, n’est pas un critère suffisant pour être admis sur le sol français. Pour obtenir des papiers, il faut être un exilé politique, donc prouver que l’on est en danger, que l’on a fuit son pays des raisons politiques ou religieuses. Pas pour des simples et prosaïques raisons économiques… Il est donc indispensable de raconter des histoires, de falsifier la réalité, d’inventer des mensonges, des mensonges de pauvres appris par coeur. Ces histoires mensongères leur ont été vendues par les passeurs : les Adam-byapari ou « marchands d’hommes » comme on les appelle.
Voici comment Shumona Sinha raconte :
« C’était comme si une seule et unique histoire était racontée par des centaines d’hommes, et la mythologie était devenu la vérité. Un seul conte et de multiples crimes : viols, assassinats, agressions, persécutions politiques et religieuses. C’était des tusi-talas malheureux, tusa-talas malgré eux. J’écoutais leurs histoires aux phrases coupées, hachées, éjectées comme on crache. Les gens les apprenaient par cœur et les vomissaient devant l’écran de l’ordinateur. Les droits de l’homme ne signifient pas le droit de survivre à la misère. D’ailleurs on n’avait pas le droit de prononcer le mot misère. Il fallait une raison plus noble, celle qui justifierait l’asile politique. Ni la misère ni la nature vengeresse qui dévastait leur pays ne pourraient justifier leur exil, leur fol espoir de survie. Aucune loi ne leur permettrait d’entre ici dans ce pays d’Europe s’il n’avouaient des raisons politiques, ou encore, religieuses, s’ils ne démontraient de graves séquelles dues aux persécutions. Il leur fallait donc cacher, oublier, désapprendre la vérité et en inventer une nouvelle. Les contes des peules migrateurs. Aux ailes brisés, aux plumes crasseuses et puantes. Aux rêves tristes comme des chiffons.
Le rêve est un souvenir précoce. Le rêve est celle volonté qui nous fait traverser des kilomètres, des frontières des mers et des océans, et qui projette sur le rideau gris de notre cerveau l’éclaboussure des couleurs et des teintes d’une autre vie. Et ces hommes envahissent la mer comme des méduses mal-aimées et se jettent sur les rives étrangères. »
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Ce n’est plus un secret pour personne, puisque de nombreuses associations en ont expérimenté la réalité et l’ont fait connaître chez nous. Derrière les demandes (visas et cartes de séjour, secours solidaire à l’intérieur de la France même) existent souvent – pas toujours, tout de même ! – des stratégies pour aggraver des vérités qui ne passeraient pas dans un style et un registre plus conforme aux réalités tragiques des situations de pauvreté et d’injustice qui vont toujours ensemble, donc qui n’appliquent pas les Droits de l’homme. Tout aussi vrai que la politique française préfère accorder visas et cartes de séjour aux étrangers « rentables » pour la France (la fameuse « immigration choisie » a été pratiquée dans toutes les ambassades et tous les consulats avant d’être conceptualisée, ne nous berçons pas d’illusions de leader de parti ni de campagne électorale !). Ce n’est donc pas au niveau de la sortie d’un pays pauvre ni de l’entrée dans un pays riche que se trouve la « solution durable » mais dans la pression citoyenne de politique étrangère pour amener les tyrans et les élus des continents pauvres à reconnaître leurs fautes morales à l’égard de leur peuple et de leur territoire. Mais si l’exploitation des ressources naturelles continue à être notre obsession pour servir notre sur – développement, il n’y aura aucun progrès à attendre dans les régions pauvres du monde. Seule une autre vision de la civilisation (pour nous jusqu’ici bâtie sur la production d’inutilités ou de gadgets et la consommation de force et à tout prix, le pillage et l’accaparement des richesses de la planète entre les mains des mêmes puissances, la concentration de la matière grise et des capitaux pour les mêmes types de projets sur les mêmes secteurs rapidement juteux…) pourrait ralentir puis faire émerger un monde plus équitable et enfin fraternel. Des signes de cette sensibilité sont perceptibles mais à la seule échelle individuelle ou parfois associative ou paroissiale, mais cela ne suffit pas pour influencer nos propres politiciens. Relire Madame Bâ d’Eric Orsenna – mais aussi ses trois ouvrages à propos de la mondialisation (coton, eau, papier) – pour s’en convaincre : la capacité d’empathie, l’étendue culturelle et le talent pour écrire font de cet auteur une référence morale internationale actuelle. Tout le contraire d’un Sénèque courtisan. Orsenna nous fait rencontrer des autochtones amoureux de leur pays, c’est réconfortant et très utile pour que les âgés de plus de 50ans s’en inspirent et deviennent des globe-trotters du « co-développement durable des peuples », processus sans lequel les pays resteront ce qu’ils sont !