Michel Onfray, philosophe décadent
4Le 19 février 2017 par Jean-François Dortier
Dans Décadence, Michel Onfray annonce la fin de la civilisation chrétienne qui a régné pendant 2000 ans sur l’Occident et connaîtrait aujourd’hui ses derniers feux.
C’est grandiose, c’est tragique, c’est implacable… Sauf que c’est tout faux.
Et voici pourquoi
Décadence, prétend raconter l’histoire de la « civilisation judéo-chrétienne » en deux temps. 1. « le temps de la vigueur » (des origines du christianisme à la Renaissance) et 2) « le temps de l’épuisement » (qui débute il y a cinq siècles et se termine sous nos yeux).
Comme à son habitude, M. Onfray ne fait pas dans la dentelle. Nietszche voulait penser « à coup de marteau », son élève avance au bulldozer. Dès le premièr chapitre, il affirme, contre l’écrasante majorité des spécialistes que le personnage Jésus n’a jamais existé. Tout aurait été inventé de toute pièce par l’apôtre Paul (1). Au passage, M. Onfray nous livre un scoop de son cru: Saint Paul était impuissant (2) et cette infirmité est la raison pour laquelle la circoncision a été épargné aux chrétiens, etc. Tout le livre est à l’avenant. Laissons donc là ces énormités : M. Onfray ne cherche pas à expliquer l’histoire mais à régler ses comptes avec son obsession: le judéo-christianisme.
Venons en plutôt à la thèse centrale : l’essor et le décadence de la civilisation judéo-chrétienne.
- La christianisme n’est pas la chrétienté
La première confusion porte sur l’association plus que discutable entre le christianisme (comme religion mondiale qui rassemble catholiques, protestants, orthodoxes, évangéliques) et la « chrétienté », puissance de l’Eglise catholique et romaine qui a dominé l’Europe pendant un millénaire. Le monde que l’on appelait à l’époque « la chrétienté » recouvre chronologiquement la période de Moyen-âge, de 500 à 1500 ans. La chrétienté connut son apogée au 11 et 12ème siècle aux « temps des cathédrales » et des Croisades. A l’Est de l’Europe, ce fut le temps de la splendeur de Byzance. Puis à partir de la Renaissance, vers 1450, l’Eglise chrétienne a commencé à voir son emprise sur la société décliner : Eglise et pouvoir politique se sont séparés progressivement ; Le monde des idées – philosophie, science, arts se sont affranchie du magistère de l’Eglise; l’adhésion des populations au christianisme à commencé son reflux. Ce mouvement a été analysé depuis bien longtemps les sociologues et philosophes : Nietzsche y voyait la « mort de Dieu ». Marcel Gauchet reprendra à Max Weber le terme de « désenchantement du monde » pour décrire la sécularisation de la société. M. Onfray vient après tout le monde et enfonce donc a grand coup des portes ouvertes.
Sauf qu’il en tire une conclusion radicalement fausse en confondant ce processus de sécularisation avec le déclin du christianisme. Car la perte d’emprise du christianisme sur la société européenne n’annonçait pas, loin s’en faut, le déclin général du christianisme. Au moment même où l’Eglise se fractionnait (entre catholiques et protestants et anglicans), et perdait de son influence sur le sol européen, elle débutait son expansion mondiale. Via les colons et missionnaires, le christianisme s’est implanté dans les deux Amériques, en Afrique et en Asie. Loin de faire partie du passé : le christianisme reste aujourd’hui non seulement la première religion du monde (2, 1 milliards de chrétiens), mais contrairement à une idée reçue, elle poursuit encore son expansion : l’ évangélisme protestant continue en effet de convertir en Afrique, en Asie (il y a plus de 30 millions de chrétiens en Chine !) et même dans certains pays arabes.
• L’Occident ne se résume pas au christianisme
Le seconde confusion concerne l’histoire de l’Occident et celle du christianisme. L’Europe et l’Occident ont incontestablement des racines chrétiennes : et pour cause, l’Eglise a détenu le monopole du sacré pendant un millénaire. Mais pour autant, la civilisation occidentale s’est édifiée sur bien d’autres fondations culturelles et sociales : la démocratie et philosophie grecque, le droit romain, la pensée humaniste, l’égalitarisme, l’individualisme, la science, la technique et le capitalisme. Tous ces ingrédients forment le tissu de la « modernité » occidentale et les historiens discutent depuis longtemps du poids relatif de ces facteurs dans l’ascension de l’Occident. Impossible donc, de confondre l’histoire de l’Occident avec celle du christianisme, comme le fait Michel Onfray.
Aujourd’hui, l’Asie connaît un tel essor qu’elle est en train de devenir le nouveau centre de gravité du monde. L’Occident est donc en déclin relatif par rapport à l’Asie. Les raisons en sont le déclin économique relatif de l’Europe face au dynamisme des économiques émergentes (3) et n’ont rien à voir avec l’histoire du christianisme.
- L’histoire des civilisations et des religions ne coïncident pas.
Pour finir, après avoir entretenu cet amalgame entre christianisme, chrétienté et Occident, M. Onfray généralise son propos à l’histoire universelle : « La puissance d’une civilisation épouse toujours la puissance de la religion qui la légitime » assenait M. Onfray en introduction. Et il martèle de nouveau en conclusion ce qu’il croit être une vérité universelle. « c’est la religion qui produit une civilisation » (p. 575). Sauf que notre auteur ne prend pas la peine de donner un seul exemple illustratif. Il serait bien en peine de nous citer quelle religion a impulsé la civilisation babylonienne, égyptienne, gréco-romaine, chinoise, khmer ou aztèques. Ces civilisations ne se sont pas construites sur des bases religieuses. Leur fondation première fut la conquête guerrière. L’Islam est la seule civilisation connue qui associe la naissance d’une religion avec la conquête impériale.
En revanche, la fin de la civilisation arabo-musulmane (qui a duré sept siècles) ne correspond pas à la fin de la diffusion de l’Islam. Celle- ci s’est revitalisé avec l’empire Ottoman, et l’empire Moghol indien. Mais une fois ces empires disparu, la religion, elle n’a pas disparu avec. L’Islam est aujourd’hui la seconde religion du monde (avec 1, 6 milliard de musulman).
Il est donc radicalement faut d’affirmer que « quand la civilisation meurt, la religion trépasse avec elle ». Ce n’est vrai ni pour l’Islam, ni pour le christianisme. Ce n’est le cas ni pour le bouddhisme, (qui s’est diffusé en Asie après que le seul empire bouddhiste au monde, celui d’Asoka se soit effondré), ni pour ni le judaïsme (qui a survécu deux mille ans à la disparition des royaumes d’Israël). L’existence des « grandes religions » ne coïncidé pas avec celle des puissances impériales qui les ont porté.
Pour conclure notre philosophie de l’histoire reprend aveuglement la théorie du « choc des civilisations » avec cet argument massue: ceux qui ne partage pas la théorie de Samuel Huntington, sont des « idiots » et « imbéciles ». Pour ma part, j’ai expliqué dans le billet précédant ce que j’en pensais.
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(1) Il reprend un nouvelle fois la thèse dite mythiste de Prosper Alfaric qui date de 50 ans et totalement discrédité par les historiens.
(2) il interprète à sa manière le passage sur la mystérieuse maladie de saint Paul qui a fait coulé tant d’encre parmi les spécialistes
(3) voir l’article de mon double Achille Weinberg « La mondialisation acte 2 », in Sciences Humaines 290/2017.
Catégorie Bazar
Whaou !! Comme dit Alice 2 ans 🙂 quelle belle leçon de printemps ! Je suis d’accord avec ma petite fille et son grand grand père :l’histoire n’est pas finie:-) @ bientôt
Bravo !
Au fait, ça sert à quoi un philo, un philo quoi, aux œufs ?
Veut-il faire réagir les chrétiens ? Si Jésus n’a pas existé, celui qui le dit n’a pas d’apôtres.
En résumé, avec tout ce qu’on lui colle sur le dos à cette pauvre Èglise, elle s’est simplement assoupie, fait le dos rond, pour ne pas briser ses détracteurs (même pas agricoles).
Ce sont les Onfray qui participent à l’avènement de l’islam. Si seulement ces philosophes dénonçaient les sourates mortifères du Coran, qui ont déjà fait des centaines de victimes en France et des millions dans le monde, on pourrait admettre qu’ils ne sont pas complices de ces faits !
Tous des baveux.
Il est radicalement fauX (et non: ‘faut’)! Faut avoir le courage de le dire! :p