Penser par analogies

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Le 2 mai 2013 par Jean-François Dortier

Faire une analogie, c’est établir une comparaison entre des phénomènes dans lesquels on perçoit tout à coup une ressemblance cachée. L’articulation de mon coude ressemble à celle de mon genou, qui ressemble au « coude » d’un tuyau, ou au virage sur une route.  Manger et lire ont quelque chose en commun : dans un cas on nourrit son corps, dans l’autre on se nourrit l’esprit. Je peux donc « dévorer des livres » ou parler de « nourritures spirituelles ».

L’analogie fut longtemps tenue comme un simple procédé littéraire ou un mode de raisonnement particulier, distinct de l’induction (passage du particulier au général) ou de la déduction (inférence logique). Pour Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander, elle est bien plus que cela. L’analogie est « au cœur de la pensée », en ce sens que le cerveau utilise des analogies pour penser à tout bout de champ. C’est par analogie que l’enfant apprend à catégoriser, c’est-à-dire à établir des concepts tels que « maman ». Il part d’une expérience fondatrice, sa propre maman, pour comprendre bientôt que les autres enfants autour de lui ont aussi des « mamans », par analogie avec la sienne. L’analogie repose donc un transfert d’une situation à une autre. C’est une analogie un peu plus éloignée qui lui fait admettre que la lionne, la vache, la poule peuvent aussi être une « maman ». Puis par généralisation, il admettra plus tard que la « mère » est un concept plus général qui va s’appliquer à d’autre situations : la mère patrie, la déesse mère. Ici l’analogie consiste à appliquer un schéma, une structure profonde à des situations que l’esprit trouve comparables. C’est le fondement des métaphores.

L’analogie est pour les auteurs partout : dans le langage, dans les situations de la vie quotidienne (on peut percevoir des analogies entre objets sans avoir recours au langage : les bricoleurs qui vont utiliser une pierre ou un bout de bois comme marteau le savent bien). L’analogie est aussi présente dans la pensée scientifique.  L’onde qui se répand dans l’eau quand on jette un caillou a servi, par analogie, à forger la théorie physique du son qui se propage par ondes dans l’air. Puis Huyghens a proposé la première théorie ondulatoire de la lumière par analogie avec l’onde sonore… L’ouvrage se conclut d’ailleurs sur un long passage sur la façon dont Einstein a utilisé des analogies pour forger la théorie de la relativité.

Loin d’être un piège de l’esprit, prompt à tomber dans les faux-semblants, l’analogie pourrait être au contraire un puissant mécanisme de détection des structures cachées, de formes et de modèles. A partir de cette idée, les deux chercheurs en sciences cognitives ont écrit un épais volume  qui fourmille d’exemples et qui parvient à nous convaincre, moins par la théorie que par l’abondance d’illustrations, que l’analogie est au cœur de la cognition humaine.

• Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, Odile Jacob, 2013, 684 pages, 31,90 €


6 commentaires »

  1. chapouthier dit :

    Mais si d’innombrables analogies sont possibles, ce n’est pas seulement un processus cérébral. Cela veut dire qu’il y a, dans l’univers, des lois communes, des constantes de fonctionnement, dont la métaphore ne fait que souligner la parenté.

  2. Pc dit :

    Qu’elle différence entre analogie et métaphore?

  3. Jacques Van Rillaer dit :

    Il est essentiel de distinguer la phase d’invention d’hypothèses et la phase de leur vérification méthodique. Dans la 1ère phase, des analogies sont souvent heuristiques; dans la 2e phase, les analogies n’ont guère de pertinence et s’avèrent des «obstacles épistémologiques» (Bachelard) si elles tiennent lieu de démonstration.

    Exemple. L’astronome Francesco Sizi prétendait que Galilée n’avait pas pu voir un satellite tournant autour de Jupiter. Son argument : « Il y a sept fenêtres dans la tête : deux narines, deux oreilles, deux yeux et une bouche ; de même, dans les cieux il y a deux astres favorables, deux défavorables, deux luminaires, et Mercure seul, indécis et indifférent. De cet état de fait et de bien d’autres phénomènes semblables de la nature, tels que les sept métaux, etc., qu’il serait fastidieux d’énumérer, nous concluons que les planètes sont nécessairement au nombre de sept » (cit. in Hempel, “Elements d’épistémologie”, p. 74). Malheureusement pour Sizi, on dénombre aujourd’hui douze satellites autour de Jupiter.

    Bachelard avait raison d’écrire, pour la 2e phase de la recherche scientifique: «L’esprit scientifique doit sans cesse lutter contre les images, contre les analogies, contre les métaphores.» (“La Formation de l’esprit scientifique”, 1947, p. 38). Il donne de nombreux exemples pour la physique et la chimie.

    C’est surtout dans les sciences humaines, en particulier en psychologie, que les métaphores font trop facilement croire qu’on a expliqué. Freud écrivait par exemple : «La névrose est une religion individuelle ; la religion est une névrose obsessionnelle universelle». C’est un point de départ intéressant pour la réflexion, encore faut-il étudier soigneusement et la religion et les T.O.C.
    Je renvoie au livre de Sokal et Bricmont “Les impostures intellectuelles” (Odile Jacob et rééd. Le Livre de Poche) pour illustrer les ravages intellectuels des métaphores en psycho.

  4. Didier Mendelsohn dit :

    Y a-t-il dans la nature, dans la pensée des constantes repérables? Sans doute l’histoire des sciences ( et l’histoire tout court aussi) nous invite-telle à répondre que oui. Et pourtant…Si l’on admet que comparaison n’est pas raison, chaque situation, chaque évènement, chaque vie sont marqués par la singularité. Difficile aujourd’hui de croire que rien et ne ressemble complétement à ce qui a été pensé, vécu par d’autres, en d’autres temps. Difficile de faire taire notre esprit avide de trouver une explication, une solution à tout probléme nouveau, de l’empêcher de s’acharner à démontrer que sur le grand chemin où nous avançons ( une analogie qui en vaut bien d’autres) avec plus ou moins de bonheur, et bien à défaut de savoir où il nous méne, nous pouvons croire possible de déchiffrer les bornes que certains ont laissé de leur passage ( une métaphore qui en vaut bien d’autres!). Et croire en une vie meilleure. Mais là ce n’est que pure illusion.

  5. Jane dit :

    L’analogie consiste effectivement à penser par rapprochement ou comparaisons, ce qui permet d’établir des ressemblances mais aussi des différences. <>. Les Chinois se savent plus intelligents parce qu’ils excellent dans ce réflexe mental : que me rappelle ceci ? où ai-je déjà lu, vu, entendu ou fait cela ? qui l’a dit autrement ? Les élèves en difficulté d’aujourd’hui sont pris dans l’immédiateté et déconnectés d’une linéarité par le zapping du numérique, ils ne développent que très peu leur mémoire, d’où ces nombreuses incapacités à appliquer les savoirs à des contextes semblables ou à des contextes autres qui exigent de faire autrement. De quoi s’inquiéter et rapidement trouver des moyens pour pailler à ce handicap mental qui consiste à ne plus savoir penser par analogie, aussi bien dans les formations d’adultes que dans les classes…

  6. KELLER dit :

    Les travaux sur l’analogie et le fonctionnement mental analogique sont rares, raison de plus pour consulter ce numro de la revue Psychologie Française qui lui est entièrement consacré!
    L’analogie y est présentée sous ses aspects les plus stimulants et les plus créatifs…
    En prime, les références d’un article qui se penche sur l’utilisation du raisonnement analogique par … Freud lui-même

    Numéro spécial consacré à l’analogie, à partir des travaux de l’école bordelaise, dirigée par Alain Laflaquière : Psychologie Française, n°44-4, 1999

    Keller P-H., 2003b, A propos de quelques analogies du texte freudien, Revue Française de Psychanalyse, 1/2003, pp. 287-297

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